« Entre la France et l’Angleterre, la meilleure chose est la Manche. »
Douglas Jerrold
Les Anglais et leur reine mère, les Français et leurs grèves, l’Angleterre et sa marmelade, la France et sa baguette, le cricket et la pétanque, les punks et les bobos, l’arrogance et l’arrogance… jusqu’au sempiternel Froggies and Rosbif.
Confronté à un imaginaire collectif codifiant en un système de représentations la manière de voir l’autre, émerge alors un projet ambitieux et singulier qui se propose de croiser les regards.
Au-delà d’un croisement des visions françaises et anglaises sur l’alter de l’ego, l’exposition révèle également l’entrelacement des regards des dix artistes stéphanois : un thème, une diversité d’approches, autant de productions qui matérialisent expérience et sensibilité propres à chacu
La création d’un livre permet d’inviter à une proximité ou de penser tout au contraire une distance. Détournés voire raillés, les clichés ont ici la part belle ; ils constituent le matériau visuel et plastique à partir duquel s’élabore le dispositif du livre d’artiste : monstre stylisé sur grand format pour Head and Neck, bêtes iconiques figées dans de la résine dans Froggies and Rosbif, quête livresque du Graal inspirée de l’univers parodique des Monty Python dans France/Angleterre : l’ironique patte des artistes est sans pitié.
Sous-jacente également à la notion de livre d’artiste, l’idée de spatialité offre une matérialisation du souvenir. Le dispositif des Com(p)teurs organise le sourd cheminement d’une eau sombre censée relier les deux pays. Et si le nouvel Atlas est la carte imaginaire d’un monde occidental perçu comme ancien, à l’image d’un vieux parchemin, l’oeuvre Empty Spaces se propose de décliner la topographie mentale de villes actuelles, sur des pages ajourées, travaillées comme de la broderie anglaise. De son côté, Entre deux rives joue de la combinatoire de drapeaux tissés, symboliques des couleurs qui se recoupent d’un pays l’autre.
Spontanément, la mémoire émerge de cette somme de projets singuliers. Que cette mémoire soit personnelle et cachée, comme dans La Mémoire est un jardin à l’anglaise dont la clôture doit être entretenue ou collective et exhibée, à l’image de Remembrance Day, elle devient l’élément fédérateur sans cesse sollicité pour cristalliser sur la page le voyage vécu ou imaginé. Pour d’autres, la mémoire se fait histoire intime et nostalgique comme dans Traversées de la Manche. L’Angleterre habite les souvenirs de chacun et acquiert consistance par le travail de la réminiscence.
L’Angleterre, la France et leurs multiples rapports, prennent alors forme à travers la singularité de chaque artiste ; la variété des réalisations vient ainsi témoigner de la fécondité d’un tel croisement, ou échange, de regards.
Definitely, entre la France et l’Angleterre, la meilleure chose est… le livre d’artiste.
Chloé Chidiac & Arnaud Idelon