Présentation du projet
À vol d’homme
« À vue d’oiseau » : l’expression apparaît pour la première fois vers 1700, peut-être dans le Traité de perspective de Bernard Lamy : « On appelle perspective à vue d’oiseau, celle dont le point de vue est placé de manière qu’on suppose le spectateur élevé en l’air comme s’il était oiseau ». On parlait aussi de « vue d’hirondelle ». À l’autre bout du siècle, l’Encyclopédie méthodique complète la définition : « On donne le nom de plan à vue d’oiseau à un dessin qui représente les objets tels qu’un oiseau est censé les voir à l’instant où il vole au-dessus de ces objets, ou tels que les ont vus les hommes intrépides qui ont monté dans nos machines aérostatiques. » Entre-temps, en effet, le 20 octobre 1783 avait constitué une date capitale dans l’histoire du regard humain : Jean-François Pilâtre de Rozier et André Giroud de Villette s’étaient élevés au-dessus du faubourg Saint-Antoine dans la machine des frères Montgolfier. Il y a peu de place pour l’imagination poétique dans le court compte rendu que Villette fait de ce vol captif pour un journal de l’époque : « Dès l’instant, je fus convaincu que cette machine peu dispendieuse serait très utile dans une armée pour découvrir la position de celle de son ennemi ».
Le ton est tout autre quand, le mois suivant, Alexandre Charles s’envole à son tour dans son ballon à hydrogène : « Jamais rien n’égalera ce moment d’hilarité qui s’empara de mon existence, lorsque je sentis que je fuyais la terre ; ce n’était pas du plaisir, c’était du bonheur. »
Depuis, avec les photographies aériennes de Nadar (1858), avec Google Earth, le logiciel qui « permet à tout utilisateur de survoler la terre et de zoomer sur le lieu de son choix » (2005), le regard vertical sur le monde d’en bas s’est banalisé, démocratisé peut-être. Surveillance ou évasion ? Nous ne sommes guère sortis de l’alternative Villette/Charles : la vue d’oiseau, devenue vue d’homme, étend-elle les limites de notre liberté ou nous soumet-elle à un contrôle de plus en plus implacable ?
Les neuf propositions qui suivent réfléchissent, chacune à leur façon, à ce que « à vol d’homme », signifie aujourd’hui, d’un point de vue esthétique et politique ; à la place qu’occupe l’être humain ainsi exposé dans le paysage ; et aux formes de pouvoir qui s’expriment alors.
Les règles de l’exercice commun sont simples : chaque double page présente deux images, commentées par deux textes : un document et une courte fiction.
D. R.