Préface

Si l’on demandait à un certain nombre d’amateurs de littérature de nous citer, de mémoire, le titre d’une œuvre de Marguerite Yourcenar, il est probable que beaucoup d’entre eux seraient dans la capacité d’évoquer L’Oeuvre au Noir ou les Mémoires d’Hadrien. Mais plus restreint serait le nombre de ceux qui ont connaissance du recueil de nouvelles intitulé Feux. Nos amateurs de littérature ne seraient pas à blâmer, car nous pouvons constater que même les éditeurs portent un intérêt mitigé à cette œuvre de jeunesse de l’académicienne, à en croire le petit nombre de rééditions dont elle a fait l’objet. Il est vrai que ce livre ne présente pas les caractéristiques du livre consommable ; il est également vrai que son accessibilité demande une implication certaine de la part du lecteur. La manière dont il est construit peut être de prime abord déconcertante : neuf nouvelles aux titres énigmatiques, séparées les unes des autres par des pensées extraites de journaux intimes ; une mythologie grecque qui n’est pas, ou plus, celle que nous croyions connaître ; un livre où dans chaque mot, dans chaque phrase, se développe un langage polysémique qui permet de laisser libre le champ de l’interprétation, comme s’il était demandé au lecteur d’envisager le langage non plus en tant que simple outil de la transmission d’informations factuelles, mais comme une pierre dont chaque facette permettrait de découvrir une signification sous-jacente.

Notre édition de travail s’adressant à des étudiants de 2ème année de Lettres, nous avons débattu sur cette notion de liberté interprétative, cherchant, au cours du semestre, à l’équilibrer de manière pertinente avec l’objectif d’éclairer le lecteur confronté aux difficultés que présente le recueil. Par conséquent, l’exercice de l’exposé sur les nouvelles a été pour nous l’occasion de soumettre des pistes de lecture plutôt que des interprétations « clés en main », de soulever des objets de questionnement plutôt que d’imposer des réponses. C’est pourquoi, dans un désir de convoquer l’intelligence des futurs étudiants qui utiliseront notre travail, nous avons pris soin de n’annoter que les nouvelles, en laissant ouvert le champ d’analyse des pensées détachées. Il était également nécessaire de ne pas entraver la fluidité du texte par une surcharge de notes, en considération des idées de recherche et d’approfondissement personnels qui doivent accompagner la lecture en permanence. Car Feux n’est définitivement pas un « bouquin », c’est un ouvrage.

Maxime Dégrange